Le Nid de l'aigle


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Une maison comme un Mandala, cela ne court pas les rues. Et quand celle-ci se niche sur une falaise, côtoyant les hauteurs de la Bonne Mère, on se dit que le lieu paraît un peu trop près du ciel. Lorsqu'en plus on sait que pour aller voir de plus près ce bout d’éternité, il faut escalader plus de 230 marches, l’ascension prend carrément l’allure d’un rituel digne de l’île de Délos, si chère au dieu grec Apollon. Et tout cela se mêle en pleine Provence, dans les collines de la cité phocéenne, découverte par ces mêmes Grecs près de 2 000 ans avant notre ère… Et pourtant, la villa du Nid de l’aigle est bien une habitation, faite pour accueillir le quotidien d’une famille nombreuse et savourer le soleil du Midi autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Cela en deviendrait presque surprenant. Car, bâtie en bordure d’une falaise à pic, et s’ouvrant de toute part sur les bleus mélangés de la mer et du ciel, la maison a quelque chose d’évanescent, de spirituel, de presque "viscéral", selon le mot de son concepteur et architecte, André Stern.


Interview d'André Stern, architecte de la villa du Nid de l'aigle


Comment avez-vous été amené à réaliser la villa du Nid de l'aigle ?

J’avais la villa mitoyenne qui s’appelait Mandala et il y avait un très beau terrain au-dessus. J'ai donc recherché les propriétaires. J’ai trouvé une succession difficile. Avec beaucoup de patience, j’ai retrouvé toutes les personnes qui étaient concernées par cette opération familiale, et j’ai fait une proposition qui a été acceptée. Puisque l'on est dans un périmètre sensible vis-à-vis de Notre Dame de la Garde, de l’autre côté de la faille (l’ancienne carrière qui a été créée pour permettre d’avoir un passage en bas), j’ai dû déposer un permis qui a été accepté par l'architecte des bâtiments de France. Mais la maison est très intégrée au paysage. Quand vous regardez l’échelle de la faille par rapport à la maison, qui n’a qu’un niveau d’apparent, je dirais que, dans le paysage, c’est simplement un détail architectural.

La maison, la plus haute de Marseille, n'est accessible qu'après un escalier de 230 marches. Comment avez-vous contourné les difficultés du terrain et comment les travaux se sont-ils déroulés ?

Je fais partie des architectes qui habillent sur mesure, je suis un tailleur de terrain. Il y a des professionnels qui rasent pour construire leur ego dessus, moi j’essaie d’habiller, de m’intégrer et de participer. Surtout dans un projet comme celui-là qui est très minéral, viscéral. C’est un projet très attaché car il y a un rocher qui a une proportion très importante  par rapport à la construction.

Ce fut aussi un chantier difficile puisqu'il y a plus de 230 marches à monter. Donc, toute la volonté architecturale que j’ai mise en place est que 2 hommes puissent porter les éléments préfabriqués. Bien entendu, des solutions innovantes ont été trouvées. Par exemple, vous avez des chauffages avec des films graphités, comme on le fait dans les satellites. Vous avez aussi, pour la partie de la charpente et de la toiture, des poutres en lamellé-collé qui peuvent être transportées par deux hommes. Et pour la structure proprement dite, des éléments très légers en béton allégé, le Ciporex, ont permis d’isoler sans avoir à couler du béton. Il y a peu de béton dans cette maison.

kalachakra
Exemple de Mandala : Kalachakra, la roue du temps.
Comment avez-vous envisagé la villa ? Comment avez-vous travaillé la lumière dans l'architecture de la maison ?
La maison est dessinée sur un ancien dessin indien qui date du XVIe siècle, un Mandala. Il fait participer les proportions de l’architecture et de la lumière dans des rapports harmonieux. Le Mandala est la représentation du monde à la fois en unité et à la fois dans son détail, puisque c’est un élément qui sert pour la méditation bouddhiste. J’ai de très beaux dessins qui créent des grilles de proportions. Je les ai appliquées d’une façon intellectuelle, voire ésotérique, sur le terrain. Elles m’ont permis de donner toutes les proportions à la maison ainsi que le rapport entre la lumière intérieure et la lumière extérieure. 

Il y a dans la pièce principale un immense escalier central. Que signifie-t-il ?
C’est à la fois un escalier et une participation verticale à la lumière, qui peut le traverser de telle façon qu’il n’y ait justement pas de zones où la lumière s’arrête de pénétrer. On a même des arbres, des hévéas, qui sont plantés en partie centrale directement dans le sol et qui existent toujours 20 ans après.

Les pièces à vivre, spacieuses et lumineuses, contrastent avec les chambres du bas, plutôt petites et sans grande fenêtre. Comment avez-vous envisagé l'habitation de la maison ?

Pour les chambres du bas, c’est la même démarche qui a prévalu. D'abord, elles donnent toutes sur le soleil levant à l’est sur le patio grec. Elles ont chacune leur hublot et leur lumière, mais elles sont faites de façon bateau pour obliger les enfants (puisque j’avais 4 enfants qui vivaient là), à participer à la vie sociale des parties communes et que chacun ne s’enferme pas dans sa chambre, sans participer, sans échanger. C'était pour leur apprendre la sociabilité d’une famille.

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L'escalier central
L'esprit contemporain se lit dans l'architecture de la villa, et notamment dans le salon d'hiver, où se trouve une grande cheminée en fonte. Quels aspects de l'architecture moderne vous inspirent le plus ?

La cheminée se trouve être dans le Larousse, à la définition "cheminée contemporaine". Vous avez la lumière, le vide et, en symbolique, vous avez cette cheminée centrale suspendue, qui est accessible de tous les côtés et qui fonctionne parfaitement.

Pour moi, moderne cela ne veut rien dire. Aujourd’hui, on adore tout ce qui a été fait à l’époque par Ludwig Mies van der Rohe, Le Corbusier et compagnie. C’est contemporain. J’ai une vision de l’architecture qui reste vivante et qui permet de passer le temps. Je pense que quand on fait notre métier d’architecte, ce qui est important, ce n’est pas toujours le volume architectural mais les vides architecturaux que l’on crée. On vit dans les vides, on ne vit pas dans les pleins.

Par cette villa, avez-vous cherché à construire la maison de vos rêves ?

C’était une folie d’architecte. Au XIXe siècle, on faisait les Folies, j’ai fait ma folie. J’ai mis deux ans pour la faire, puisque le lieu était difficile. Et j’en fais une nouvelle actuellement, au Goudes.
(NB : les Folies étaient des maisons de villégiature construites principalement au XIXe par la bourgeoisie aisée ou l'aristocratie en périphérie des villes. L'appellation a été utilisée pour désigner l'extravagance architecturale d'une résidence). 

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La jungle intérieure
Vous êtes actuellement chargé de la réhabilitation du château de la Buzine. Quel est ce projet et quels sont vos objectifs dans sa réalisation ?

Actuellement, je fais la réhabilitation du château de la Buzine qui va devenir la Cinémathèque méditerranéenne de Marseille et qui est dédiée à Marcel Pagnol. C’est un rapport affectif que j’ai eu avec cet écrivain et j’ai voulu absolument ce chantier.

Dans ma jeunesse, j’ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs fois Marcel Pagnol, aussi bien sur le plan culturel que sur le plan physique, puisque j’étais ami avec le fils de Fernandel. D'autre part, étant d’origine hongroise, né d'un père juif, je me suis caché avec lui à Marseille. On a vécu pendant deux ans cachés dans la garrigue du côté d’Allauch. Quand je lisais Pagnol, je me disais qu’il avait écrit ces histoires avec mes sensations d’enfant dans la nature.

Et puis, j’ai travaillé aux Tuileries de Marseille vers Saint-Henri. Il y avait un canal et je m’étais fait faire une clef qui me permettait d’aller depuis chez moi, de la villa que j’avais à Verduron, jusqu’à l’usine, en traversant les campagnes et en ouvrant les portes le long du canal. Presque comme dans le livre "Le Château de ma mère"... Alors, losrque j'ai entendu parlé de ce chantier, je me suis dit : "il est pour moi".

On était 60 au départ, 6 après et j’ai eu le privilège de le gagner. Je l’ai gagné parce que, je pense, c’était un projet dans lequel j'avais mis dans ma poche mon ego d’architecte. J’ai essayé d’avoir le regard de Pagnol et de ne pas faire d’architecture parasite au château. J’ai enfoui tout le projet, tout le programme que l’on nous a donné, y compris une salle de cinéma (dans laquelle j’ai même fait un balcon comme on le faisait à Marseille à l’époque) sous terre. Ce qui fait que le château reste dans son entité et je n’ai pas fait de rajout. Il est déjà assez baroque, il en avait assez pour son histoire, il ne fallait rien rajouter. Je me suis permis juste une coquetterie. J’ai fait une surface pour asseoir sa composition et j’ai appelé ça le vertugadin, parce que c'est un joli terme : c’est la partie engazonnée qui descend vers les douves, où l’on faisait les fêtes galantes. L’été, on y fera des projections de cinéma à l’extérieur.


Informations pratiques

STERN INTERNATIONAL
85 bis avenue de la Pointe-Rouge 
13008 Marseille 
Tel : 04 91 17 61 61


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